Pourquoi avoir une Trabant lorsqu’on peut en avoir deux ?
La Trabant est considérée par la grande majorité des experts et historiens de l’automobile comme l’une des pires voitures jamais produites. Elle a cependant marqué une époque. Dans mon livre sur les voitures anciennes de la Californie, je vous ai raconté son histoire, ainsi que celle d’un jeune propriétaire croisé lors d’un rassemblement automobile.
J’ai eu l’occasion de retourner lui serrer la pince en avril dernier lors d’un autre voyage dans la région, où j’ai découvert sa deuxième Trabant.
Je vous invite à lire mon texte originalement écrit dans un premier temps, pour ensuite découvrir pourquoi il est propriétaire d’une deuxième copie.
Trabant 601S 1986: Simplicité involontaire
L’histoire de l’automobile est fascinante en soi. Elle le devient encore plus lorsqu’on analyse la création de tel ou tel modèle en s’intéressant aux contextes en vigueur à l’époque, qu’ils soient sociaux, économiques ou carrément politiques. Dans cette optique, la Trabant est plus qu’une voiture ; c’est un phénomène socioéconomique culturel et politique.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne est scindée en deux. Quelques usines subsistantes tombent sous le régime soviétique de la République démocratique d’Allemagne, la RDA. L’une d’elles, qui appartenait au groupe Auto Union (un des ancêtres d’Audi), prend le nom de Sachsenring et va produire des automobiles à compter de 1949. Les produits qui vont naître là vont changer de noms quelques fois pour finalement adopter celui de Trabant à compter de 1959. Ils vont aussi refléter la réalité de la Reconstruction. Les matières premières étaient rares, et le régime communiste ne voulait pas dépendre des pays capitalistes. C’est ainsi que la Trabant 601 profite d’une carrosserie fait d’un nouveau matériau nommé Duroplast. De fait, c’est toute la conception de la voiture qui est minimaliste. Par exemple, ne cherchez pas de trappe pour mettre du carburant. Parce que la Trabant 601 n’a pas de pompe à essence, on a placé le réservoir sous le capot, au-dessus du moteur, si bien que tout se fait par gravité. À l’intérieur, aucune jauge ne vous indique le niveau d’essence. Pour savoir ce qui vous reste, il faut insérer une tige dans l’espace où l’on fait le remplissage. Quant à la mécanique au service du modèle, ça ne pourrait être plus simple. Il s’agit d’un moteur 2-cylindres à deux temps de 595cc, un bloc qui proposait 26 chevaux en 1986.
L’objectif était d’offrir une voiture abordable et simple à réparer avec un minimum d’outils. À ce chapitre, la Trabant a rempli sa mission. Elle a été très populaire, aussi. Entre 1964 et 1990, 2 819 000 exemplaires ont été assemblés. Fait amusant, si sa longévité a été impressionnante, le temps qu’il fallait compter pour obtenir une version est aussi légendaire. Entre le moment où la réservation du modèle était faite et celui de la livraison, il pouvait s’écouler entre 10 et 15 ans. Vous l’aurez deviné, la chute du mur de Berlin et la réunification de l’Allemagne vont mettre fin à l’histoire de la Trabant qui aura servi sa mission à merveille. Il est seulement difficile de trouver des modèles en condition honorable aujourd’hui. La qualité de construction et la fiabilité n’étaient pas une force.
Le modèle croisé est l’exception qui confirme la règle. Son histoire est absolument extraordinaire. Son propriétaire, Steven, n’est âgé que de 26 ans. D’origine hongroise, il a promis à son père, lors d’un voyage au pays de ses ancêtres, qu’il était pour un jour ramener une voiture à la maison. Ça s’est produit en juin 2020 alors qu’il a déniché ce qui est peut-être la plus belle Trabant d’origine. Elle avait été importée par un citoyen américain d’origine allemande en 2014. Ce dernier ne l’a pas vraiment utilisé ici. Il l’avait acquise du propriétaire original qui ne la sortait qu’occasionnellement et jamais sous la pluie. Conséquemment, le compteur de cette Trabant n’affiche que 15 000 km. Impensable !
Concernant la plaque du Montana que vous voyez à l’avant, la pratique n’est pas rare en Californie, car elle permet de contourner les règles sévères en matière d’émissions polluantes. Ça ne s’applique pas aux voitures anciennes conçues avant 1976. Puisque cette Trabant est une 1986…
Une deuxième Trabant
Peu après ma première rencontre avec Steven Nádaskai, il m’a confié qu’il avait chez lui une deuxième Trabant. La raison est bien simple. L’exemplaire décrit dans le texte plus haut est tellement dans une condition exceptionnelle qu’il ne souhaitait pas le rouler de façon régulière, et ainsi l’abîmer davantage, surtout qu’il s’agit de l’une des Trabant les mieux conservées sur la planète.
Voilà pourquoi il s’est offert un deuxième exemplaire, en bonne condition, mais pas comme celui qu’il a décidé de préserver.
J’ai sauté sur l’occasion pour aller faire une balade avec lui, pour réaliser à quel point cette voiture est hautement rudimentaire. Tout ce que je peux vous dire, c’est que la mauvaise réputation du modèle n’est pas surfaite. On a l’impression d’être assis dans une boîte en tôle dépourvue d’insonorisation. Mon siège se balançait comme une chaise berçante, et la sonorité de la mécanique nous donnait l’impression que des pièces étaient sur le point de sortir du capot.
Et c’est bruyant ; très bruyant.
Mais vous savez quoi ? On ne peut qu’être charmé. J’ai souri tout du long. Surtout, ça nous fait revivre cette époque incroyable qu’était la vie à l’intérieur du Bloc de l’Est. Et dire que l’attente pour mettre la main sur ce modèle était interminable.
Si vous avez l’occasion de faire une balade en Trabant, ne la manquez pas ; il s’agit d’un cours d’histoire extraordinaire.
J’éviterais seulement les boulevards achalandés et les autoroutes ; la sécurité à bord de ce modèle est inexistante.
Mais quelle expérience !