Voici Mornine, la conseillère aux ventes des concessions Chery
Le constructeur chinois Chery a livré quelques robots humanoïdes baptisés Mornine à des concessions en Malaisie. Là, ils accomplissent diverses tâches associées au département des ventes.
La scène se passe dans la salle d’exposition d’une concession Joystar Chery 4S à Kuala Lumpur, capitale de la Malaisie. Alors qu’un acheteur regarde un véhicule, une voix féminine l’interpelle et demande si elle peut le renseigner. C’est Mornine. Son visage aux traits fins et sa longue chevelure blonde suggèrent qu’il s’agit d’une jeune femme. En réalité, tout cela est factice puisque Mornine est un robot humanoïde.
Depuis la fin d’avril, cette démonstration amorcée chez les concessionnaires Chery 4S malais montre comment Chery, un des plus importants constructeurs d’automobiles en Chine, entend réinventer le parcours d’achat d’un véhicule avec un robot doté d’une intelligence artificielle. Le but étant, dit le constructeur, de rendre les interactions avec la clientèle plus fluides, plus chaleureuses, mais aussi plus connectées.
Avec un prénom qui résonne comme « Mornin’! » (bonjour en anglais) et une apparence agréable, Mornine se veut accueillante. À 1,67 m, sa grandeur est dans la moyenne, alors que sa capacité à se déplacer à 1 m/s (3,6 km/h) lui permet de marcher aussi vite que vous et moi. Son torse lui permet de pivoter sur 41 degrés, alors que ses mains très agiles (12 degrés de liberté pour chacune) lui confèrent la dextérité voulue pour poser des gestes parfois plus complexes qu’il n’y paraît. Prenez, par exemple, l’action de dévisser le petit bouchon d’une bouteille d’eau en plastique d’une main, en tenant la bouteille de l’autre main sans la faire éclater.
Pour ce qui est l’expression faciale, par contre, on repassera. Loin de paraître angélique comme le jeune David, héros du film A.I. Intelligence artificielle (2001) de Steven Spielberg, ou carrément humanoïde comme Sonny, le robot qui pense dans I Robot (2004), Mornine affiche une apparence hybride, mi-humaine, mi-bionique. Et si sa bouche s’active lorsqu’elle parle, sa tête casquée et les lunettes fumées qui masquent un éventuel regard lui confèrent la froideur du héros de RoboCop (1987).
Cela n’a cependant pas empêché Mornine de faire sensation lors d’une série de présentations récentes : d’abord à l’Intelligent Strategy Conference organisée par Chery pour ses concessionnaires et distributeurs du monde entier à Wuhan, en Chine, puis quelques jours plus tard, au salon Auto Shanghai, présenté du 23 avril au 2 mai dans cette métropole chinoise.
Son arrivée chez le concessionnaire de Kuala Lumpur et quelques autres en Malaisie marque la transition d’un stade de prototype expérimental à celui de membre actif d’une équipe dans un environnement réel.
Dans une concession, Mornine serait en mesure d’accomplir diverses tâches : accueillir des clients, servir un café, mais aussi renseigner un acheteur en répondant à ses questions. Les réponses entendues dans certaines vidéos promotionnelles (« ce véhicule a un profil élégant » ou « ses sièges sont confortables ») évoquent cependant des clichés peu inspirants.
Une « race » qui se développe
N’empêche qu’on n’est qu’aux premières heures de l’existence de ce robot humanoïde, qui n’est d’ailleurs pas le seul projet du genre dans le monde. Qu’on pense, par exemple, à Asimo de Honda, Optimus de Tesla et CyberOne de Xiaomi, pour ne nommer que ceux-là.
Chery envisage d’ailleurs d’étendre la présence de Mornine à d’autres environnements propices à une interaction homme-machine. Le constructeur donne comme exemples les centres commerciaux, les expositions, les cinémas et les centres de services gouvernementaux. Il prône aussi son adoption par les familles, les écoles et les établissements de soins pour personnes âgées, des lieux où camaraderie, empathie et adaptabilité sont essentielles.
L’entreprise qui a mis au point Mornine s’appelle AiMOGA (acronyme de Artificial Intelligence et Multi-Objective Genetic Algorithm). Cette une filiale sud-africaine créée par Chery en 2024 qualifie sa création de « robot assistant ».
Pour lui permettre de jouer son rôle, on l’a dotée d’un modèle de détection multimodale intégrant des données visuelles, vocales et autres. Selon ses concepteurs, cela lui permet d’interpréter avec précision les paroles formulées par la personne avec laquelle Mornine interagit, de même que ses gestes, mais aussi avec le contexte et l’environnement du lieu qu’elles partagent.
En outre, cette programmation s’appuie sur une architecture lui permettant, notamment, de marcher et de faire des gestes agiles avec ses mains. À cela s’ajoute une capacité de coordination multirobot, menant à la réalisation de tâches collaboratives comme des visites guidées et des services d’accueil.
Tout cela est rendu possible par une capacité décisionnelle basée sur la technologie d’IA développée par la société chinoise Deepseek, qui lui permet d’apprendre à connaître et à reconnaître les gens, de même que l’agent conversationnel CheryGPT, qui l’amène à s’exprimer avec une sonorité humaine dans une dizaine de langues avec un taux d’exactitude frôlant les 95 %, affirment ses concepteurs.
Argos, le meilleur ami de Mornine
Mornine n’est pas seule à préparer son entrée dans le monde des vivants. Au salon de Shanghai, le kiosque de Chery la présentait en compagnie d’un chien robot nommé Argos (parfois aussi Dorry). Leurs prestations — routines de bienvenue, danses façon rassemblement éclair et jeux interactifs — ont suscité beaucoup d’intérêt de la part des visiteurs.
Les premières incursions de Chery dans le monde de l’IA remontent à 2010. Cette année-là, le constructeur a créé une « base technologique intelligente et interconnectée » en collaboration avec des meneurs de ce secteur d’activité tels que Baidu et iFlytek. Cela a mené, en 2018, au lancement de CheryLion, un système d’opération basé sur l’IA que le constructeur continue de faire évoluer aujourd’hui encore.
Puis, en 2020, Chery a lancé un programme de recherche et développement dédié aux robots humanoïdes, qui a abouti à la création de sa division consacrée à la robotique, AiMOGA, et au développement de robots quadrupèdes et bipèdes.
Car Mornine n’est pas la seule réalisation du genre d’AiMOGA. À l’instar de Spot, le robot à quatre pattes de Boston Robotics qui a fait sensation, le constructeur chinois a également mis au point un substitut mécanique à la race canine.
Surnommé Argos (parfois aussi Dorry), cette autre création d’AiMOGA était un prélude au lancement de sa contrepartie bipède. Ce toutou mécanique a séduit de nombreux visiteurs dans les salons en montrant qu’il peut danser, sauter et interagir de manière personnalisée avec les gens.
Comme l’expliquait un porte-parole de Chery aux visiteurs d’un récent salon de l’auto où ces robots étaient présents : « Aux côtés du robot humanoïde Mornine, de divers drones, d’un modèle de lunettes de réalité virtuelle et d’autres produits technologiques, écologiques et intelligents développés récemment par Chery, ce chien robot démontre la stratégie à long terme de Chery : une vision intelligente, avancée et durable de la vie moderne qui va bien au-delà de ses véhicules et qui recherche, au sein de son propre univers et avec d’autres utilisateurs, une nouvelle culture de mobilité immersive pour un monde plus vert. »
Voilà qui donne le goût de relire le livre I Robot d’Isaac Asimov (ou de revisionner le film du même nom) pour ressasser nos idées sur l’arrivée prochaine de ces machines dans nos vies. Un fait qui paraît de plus en plus inéluctable.
Photos : Chery