Bruno Sacco, le designer qui a donné un visage à Mercedes-Benz, n’est plus
Chez Mercedes-Benz, on n’hésite pas à dire qu’il a été un des plus grands designers du 20e siècle
Bruno Sacco, celui qui a dirigé le département de design de Mercedes-Benz durant un quart de siècle, jusqu’à la fin du 20e siècle, est décédé à Sindelfingen, en Allemagne, le 19 septembre 2024. Il avait 90 ans.
Lorsqu’on parle de lui, on pense immanquablement à la SL, une gamme de sportives mythiques au développement desquelles il a contribué de près ou de loin. Cependant, son influence sur les produits de la marque étoilée est loin d’avoir été limitée à ces modèles. Car à Stuttgart, on n’hésite pas à dire qu’il a été le designer « qui a donné un visage à Mercedes-Benz ».
Inspiré par une Studebaker
Bruno Sacco est né le 12 novembre 1933 à Udine, une ville du nord de l’Italie reconnue pour son atmosphère et son charme vénitien. Tout jeune, il excelle dans les arts. Dans le livre Design publié par Mercedes-Benz en 2008, il raconte : « À l’école, j’ai toujours été doué en dessin et en peinture, mais j’étais également très intéressé par les questions techniques dès mon plus jeune âge et j’étais déterminé à devenir ingénieur. » D’ailleurs, un train miniature Märklin reçu au Noël de ses cinq ans ne serait pas étranger à ce sentiment, rappelle-t-il. Cependant, des études universitaires à l’École polytechnique de Turin lui montreront qu’il n’était pas taillé pour être ingénieur. « Le sujet était aride et sans vie. Je me voyais plutôt devenir un designer automobile et je voulais prouver que je pouvais en être un bon », explique Sacco.
Sa passion pour le design se précise lorsqu’il aperçoit un coupé Studebaker Starlight pour la première fois. C’est au Salon de l’automobile de Turin, en avril 1951, qu’il découvre avec admiration cette voiture réalisée par le Français Raymond Loewy pour la marque étatsunienne. Sa silhouette inhabituelle le fascine, une admiration qui sera renforcée peu après, lorsqu’il verra une autre Starlight que conduit un soldat américain se rendant en Autriche occupée par la frontière de Tarvis, où vit alors Sacco. Dans une courte biographie publiée par Mercedes en 2012, il dit qu’à l’époque cette voiture représentait « une sculpture en mouvement dont le style évoque des avions combinés à des éléments futuristes. »
Deuxième designer de Mercedes-Benz
Après avoir fait ses études, en 1952, Sacco et sa famille s’installent à Turin. À l’époque, cette ville qui foisonne de grands carrossiers, comme Pinin Farina, Bertone, Michelotti et Ghia, est un creuset d’innovations. Bruno Sacco le découvre rapidement en se joignant, en 1955, à la Carrozzeria Ghia SpA, où il découvre l’art de la conception et de la fabrication des carrosseries.
Fin 1957, il rencontre Karl Wilfert, l’ingénieur responsable du développement des carrosseries chez Daimler-Benz. Impressionné par ce jeune designer passionné, il l’embauche et, le 13 janvier 1958, Sacco commence à travailler sous la direction de Friedrich Geiger, le grand patron d’un nouveau département de « Stylistique ». Il en sera le second designer, le premier, Paul Bracq, ayant été embauché en 1957 par Wilfert.
Pour Sacco, c’est un travail de rêve ! Dès ses débuts, il est impliqué dans deux grands projets qui aboutiront au début des années 60 : la Mercedes-Benz 600 (W100, 1963-1981) et la 230 SL (W 113 ou « Pagode », 1963-1971).
Par la suite, il travaillera également sur la conception de berlines expérimentales de sécurité appelées ESF (pour Experimentier–Sicherheits-Fahrzeuge) : les ESF 13, ESF 22 et ESF 24. Il jouera aussi un rôle déterminant dans les projets des C 111 (1969) et C 111-II (1970), deux véhicules expérimentaux à moteur rotatif.
De designer à chef de produit
Au moment de succéder à Friedrich Geiger et de prendre la direction du département de design en 1975, il comprend qu’il doit désormais penser et agir en tant que chef de projet, et non plus comme un designer, pour faire de ses créations des produits de série. Deux générations de modèles SL — la série W 198 (1954-1963, la 300 SL à portes « papillon ») et la série R 129 (1989-2002) — lui apprendront beaucoup à cet égard.
À maintes reprises, il a raconté que « les 35 années qui séparent l’apparition de ces deux modèles, si différents, mais suscitant pourtant des émotions similaires, ne pourraient être mieux documentées par aucun autre ‘‘couple’’ de l’histoire de l’automobile. Quand je pense à la force musculaire qu’il fallait déployer pour conduire la Gullwing et à l’effort continu nécessaire pour garder cette bête têtue sous contrôle (ou pour essayer de le faire), mais aussi à quel point la nouvelle voiture se comporte de manière relaxante et même ludique ! Il est évident que je suis moi aussi un passionné de SL, et ce depuis de nombreuses années. Je constate, et pas seulement par hasard (c’est vraiment tangible), que les voitures décapotables peuvent aussi être sûres. Et même sans une chevelure fournie, j’apprécie l’effet du pare-vent, cette idée ingénieuse de nos ingénieurs. »
Au fil des ans, Bruno Sacco laissera sa marque dans plusieurs réalisations notoires de Mercedes comme, par exemple, la Classe E de la série 124 avec ses quatre variantes de carrosserie, l’imposante berline et le coupé Classe S de la série 126, de même que la berline compacte 190 (W 201, 1982-1993) surnommée « bébé Benz ».
Chacune de ces réalisations était guidée par le même principe directeur si cher à Sacco : « Une Mercedes-Benz doit toujours ressembler à une Mercedes-Benz. » Un principe qu’il se réjouissait d’avoir réussi à intégrer même à la Classe A (W 168, 1996-2005), la petite voiture populaire de la marque. Un modèle qui, disait-il, a contribué à démocratiser la marque Mercedes-Benz.
Une retraite émaillée d’honneurs
Puis, le 31 mars 1999, Bruno Sacco prend sa retraite. Peter Pfeiffer lui succède alors à la direction du design. Chez Mercedes, on affirme fièrement que Sacco, qui savait combiner harmonieusement esthétique et technologie, aura été un des designers les plus influents de l’histoire de l’automobile.
Au début du 21e siècle, il sera d’ailleurs émaillé d’honneurs. Il reçoit un doctorat honorifique de l’Université d’Udine en 2002. Puis, il est intronisé aux deux temples de la renommée automobile : l’Automotive Hall of Fame de Dearborn au Michigan, en 2006, et l’European Automotive Hall of Fame du Palexpo à Genève, en Suisse, l’année suivante.
Dans un communiqué publié par Mercedes le 29 septembre, qui annonce son décès, l’actuel directeur du Design, Gorden Wagener, affirme : « Bruno Sacco a laissé une empreinte durable sur l’entreprise avec ses créations emblématiques et sa passion pour l’esthétique. Nous perdons une personnalité exceptionnelle et un esthète impressionnant. » Un hommage qui convient parfaitement à celui qui clamait : « une technologie innovante ne devient visible que lorsqu’elle est associée à un design tout aussi innovant. »
Photos : Mercedes-Benz